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Isabelle Franquin: "Mon père ne ressemblait pas tellement à Gaston Lagaffe. "

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Elle est née la même année que les bébés Marsupilamis et a passé son enfance avec le chat noir de Gaston Lagaffe (qui, dans la vie, s’appelait César). Tous croqués par son papa, le Bruxellois André Franquin dont on célèbre la naissance, il y a 90 ans. Isabelle Franquin se souvient du dessinateur virtuose de Spirou, Fantasio et des «Idées Noires».

BibliO bs Votre père, disparu en 1997, est né il y a 90 ans…

Isabelle Franquin A vrai dire, j’avais oublié cette date. Et je suis certaine que mon père aurait détesté qu’on le commémore. Je le revois, devant sa télévision, en train de se moquer des gens graves et solennels. Ce n’était pas son truc. En revanche, je trouve dommage qu’on ne parle pas davantage de Joseph Gillain [le dessinateur Jijé, dont on fête le centenaire ce mois-ci] ou de Raymond Macherot [le créateur de Chlorophylle] né lui aussi en 1924.

Franquin était aimé du public, célébré par la critique, adulé par ses confrères, il a est considéré comme l’un des plus grands génies de la BD et pourtant, il détestait son dessin qu’il trouvait «laid, ordinaire». Qu’est-ce qui clochait avec votre père?

Je crois qu’il n’arrivait pas à dessiner parfaitement ce qu’il avait dans la tête. Il nous expliquait que le résultat n’était pas à la hauteur de ce qu’il voulait. Cela devait être très frustrant pour lui. C’est pourquoi le succès, quand il est venu, a été difficile à supporter. Egalement parce que les gens attendaient quelque chose de lui.

L’admiration des autres peut paralyser la liberté de création. Il n’avait pas envie qu’on l’attende au tournant, comme on dit. Un artiste ne se soucie que de ce qu’il est en train de créer, et on le ramène sans cesse à son travail passé. Il aurait préféré qu’on le laisse s’amuser dans son coin. Recevoir le Grand Prix à Angoulême [en 1974] était pour lui terriblement embarrassant. Il n’aimait pas être mesuré aux autres.

Par exemple, tout le monde – y compris vous – adore son album le plus beau et poétique, «Le Nid des Marsupilamis» (1957). Mais lui non !

Tout le monde lui parlait de cet album avec attendrissement et cela finissait par lui sortir par les yeux. Cet album constituait une parenthèse dans sa production et il était constamment ramené à cette parenthèse. Même Charles Dupuis [l’éditeur de Spirou] lui demandait de le refaire et ne voyait pas d’un œil favorable l’irruption d’un Zorglub [méchant barbu au cœur de plusieurs aventures] dans l’univers de Spirou.

Vous confirmez qu’on peut être à la fois un génie et une personne charmante?

Mais oui. Mon père était quelqu’un de généreux, tolérant et drôle. Il a été un père très attentionné, pas du tout égocentrique, ni directif. Il me lisait des BD quand j’étais petite, et il «faisait» toutes les voix avec tous les accents. C’est ainsi que je connais la vraie voix de Gaston Lagaffe. Lors du casting pour le dessin animé «Gaston» [2009]. celle qui s’en approchait le plus était celle du chanteur Thomas Fersen [qui n’a finalement pas été retenue].

Mon père est toujours resté disponible pour écouter les confrères et n’avait vraiment pas la grosse tête. Je ne l’ai jamais vu prendre personne de haut, il était d’une grande courtoisie. J’ai découvert qu’il avait réalisé un dessin dédicacé à l’encre de Chine et en couleurs pour faire plaisir à une personne malade. il envisageait que cette personne le vende pour sa thérapie. Son principal défaut dans sa vie professionnelle, c’est qu’il ne savait pas dire non.

Il y a aussi une face sombre, révélée par ses «Idées Noires» (1977-1981). Ses dépressions ont tout de même duré plusieurs années…

Beaucoup d’ « Idées noires » sont très drôles, mais quelques-unes m’ont glacée. Je repense à ce gag du type qui veut savoir ce que ses amis pensent de lui: il dépose en douce des micros dans une soirée et s’en va. Puis il écoute et… finit dans une poubelle. Je lui ai dit: «Mais tu es dingue d’imaginer des trucs comme ça. » C’était un côté de lui qui m’était inconnu et d’autant plus surprenant que, dans la vie, c’était quelqu’un qui avait le «goût du rire».

On a beaucoup insisté sur les dépressions de Franquin, mais elles ne le résument pas: beaucoup de gens sont passés par ces épisodes et s’en sont relevés. Il ne faut pas oublier que quand il a fait sa première dépression [en 1961]. il travaillait trop: il était tout simplement épuisé. La dépression est un phénomène courant. En parler sans cesse à propos de mon père est très réducteur.

Etonnant tout de même que ce stakhanoviste ait inventé Gaston, le paresseux le plus célèbre de la BD…

Dans la vie, il ne ressemblait pas tellement à Gaston. D’abord, je ne l’ai jamais vu ne serait-ce que planter un clou. Et la seule fois où il a utilisé notre tondeuse à gazon, il s’est presque scalpé un orteil. Mais comme lui, il raffolait des animaux. Il a même voulu que nous adoptions un singe. Ma mère a dit: «C’est le singe ou moi !» Il a choisi ma mère.

Enfant, aviez-vous l’impression de partager la vie d’un artiste exceptionnel?

Pas du tout, mon père était quelqu’un de très normal. Et puis, je fréquentais l’école Decroly à Bruxelles [établissement aux méthodes pédagogiques innovantes] et il y avait là les enfants de gens infiniment plus connus que Franquin. On avait la fille de Jacques Brel, celle d’un des découvreurs du Boson de Higgs, des enfants d’avocats reconnus, etc.

Mais vous, vous trouvez aussi que c’est un génie?

C’est difficile à dire, quand depuis son enfance, on baigne dans cette œuvre. [On aperçoit notamment un bout du visage d’Isabelle dans la planche 16 d’une aventure de Spirou, «Bravo les Brothers», et sa mère est à ses côtés dans l’Ami 6 familiale du gag 318 de Gaston, celui où il crée un embouteillage monstre avec un faux feu tricolore].

Avec le recul, depuis que je collabore à la restauration des couleurs de «Spirou» et «Gaston», ce que je trouve remarquable dans son dessin, c’est l’intensité. Il a vraiment dû vivre ce qu’il dessinait. Chaque personnage est plausible, même ceux qui ne font que passer en arrière-plan. Regardez la première case de «La Quick Super» [aventure de Spirou incluse dans l’album «Les Pirates du silence», 1959]. observez les personnages secondaires: ils ont tous leur existence propre et quand ils se parlent, vous pouvez imaginer leur conversation. C’est d’une telle intensité.

Quelle a été l’enfance de Franquin?

Je n’ai pas connu mes grands-parents, parce que ma grand-mère est décédée avant ma naissance et que mon grand-père Albert s’est disputé avec Franquin au cours de mon baptême. La raison officielle est hilarante: il aurait voulu être mon parrain et que je me prénomme Alberte en son hommage – je l’ai échappée belle.

Mon père était fils unique et n’avait ni cousins ni cousines. Il a donc passé une enfance solitaire, entouré d’adultes. Il fréquentait de surcroît une école religieuse lugubrissime où chaque jour, la première heure de cours était consacrée à la prière. Je n’ai jamais vu de photo de mon grand-père, qui était employé de banque, où il arbore ne fût-ce qu’une ébauche de sourire. On le voit sur des clichés de voyage organisé: tout le monde se fend la gueule sauf lui.

Mais ses parents aimaient les animaux…

Oui, l’un des traits de fantaisie de mes grands-parents, c’est qu’ils vivaient dans une maison de Bruxelles avec un tout petit jardin peuplé d’animaux divers: une tortue, un écureuil, un chien et surtout des poules et des perruches. Mon grand-père était un membre actif de la Société royale d’ornithologie, écrivait des articles qu’il illustrait parfois, dans la revue de la Société. Il était également juge lors de concours de chants d’oiseaux, sélectionnant et primant les meilleurs chanteurs.

On sait que votre grand-père aurait aimé que Franquin devienne ingénieur agronome plutôt que dessinateur. Sans tomber dans la psychanalyse de bazar, pensez-vous que sa vocation s’est accompagnée d’un sentiment de transgression?

Je ne crois pas. Il était juste entouré d’adultes qui ne partageaient pas ses centres d’intérêt. Il a dit plusieurs fois que le premier adulte qu’il ait rencontré qui ne soit pas emmerdant était Joseph [Joseph Gillain, alias Jijé].

Beaucoup d’œuvre de Franquin sont écologistes avant l’heure. Politiquement, où se situait votre père?

A gauche. Il suivait la politique française, parce qu’il trouvait que les politiciens belges étaient de pitoyables orateurs. Il préférait écouter leurs homologues français qui «causaient mieux». Il a beaucoup aimé Michel Rocard dans sa période PSU et vomissait l’extrême-droite. Il a été heureux pour les Français en 1981, même s’il n’aimait guère François Mitterrand. Il ne comprenait pas que le peuple de gauche ait oublié ce qu’il avait fait durant la guerre d’Algérie, et le faux attentat de l’Observatoire… Quand, sous Mitterrand, la police a réprimé une manifestation d’infirmières avec des lances à eau [1991]. j’ai vu mon père pris de colère, vitupérer devant son écran de télévision contre cette ignominie. Cela a été la fin de ses illusions quant à la victoire de la gauche française.

On a dû vous poser la question mille fois, mais quel est le personnage de Franquin que vous préférez?

J’adore le comte de Champignac. C’est quelqu’un de passionné, d’intense, complètement absorbé par ses recherches et qui se fiche de l’état de délabrement de son château. Il ne se soucie pas davantage de ce que les Champignaciens peuvent penser de lui, c’est un esprit libre qui s’amuse dans ses recherches. «Etais-je gamin», dit-il de manière charmante dans une aventure. Mais il est aussi capable de colère, d’indignation devant ce qui lui semble injuste. C’est un bel être humain.

Propos recueillis par Arnaud Gonzague

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