Joachim Zand, un producteur d'émissions de télévision à la carrière devenue incertaine, revient des Etats-Unis avec une troupe de stripteaseuses. La tournée qu'il leur a organisée les emmènera au Havre, à La Rochelle, Nantes puis Toulon, en attendant l'apothéose parisienne. Dans le compartiment d'un train, Zand apprend qu'il n'a plus de salle dans la capitale. Alors, tandis que ses artistes américaines court vêtues donnent leur premier spectacle, Zand file à Paris. Il doit trouver une salle, renouer avec des amis devenus hostiles, des maîtresses malades, mais aussi prendre en charge ses enfants, deux garçonnets qu'il n'impressionne plus.

Critique lors de la sortie en salle le 30/06/2010

Par Jacques Morice

Г‡a dГ©marre par une bonne dГ©charge. du rock garage tapageur de derriГЁre les fagots, balancГ© par The Sonics. Un souvenir d'AmГ©rique, d'oГ№ dГ©barque Joachim Zand, ex-producteur de tГ©lГ© (Mathieu Amalric, lui aussi de retour derriГЁre la camГ©ra, et prix de la mise en scГЁne Г Cannes). Il ne revient pas cousu d'or et brodГ© d'argent - son costume est dГ©fraГ®chi et sa mine cernГ©e -, mais il fait comme si. Car il ramГЁne de lГ -bas la poule aux oeufs d'or. un spectacle de new burlesque. Des blondes platine, girondes, qui rГ©inventent le strip-tease. В« Si Le Havre vous aime, la France va vous adorer В», claironne-t-il aux filles, Г demi cachГ© derriГЁre le rideau de scГЁne. On devine le miroir aux alouettes, mais pas les diablesses. Lui-mГЄme a l'air d'y croire et le public suit, alors.

Alors on les suit dans leur tournГ©e. De port en port, de loges en hГґtels. RГ©pГ©titions, habillage, maquillage, strass, feux de la rampe. Les filles ont des noms de chanteuses de cabaret ou de catcheuses - Mimi Le Meaux, Kitten on the Keys, Dirty Martini -, et ce qu'elles font dГ©mГ©nage. De la performance satirique avec boas et ballons, de l'effeuillage qui se moque de lui-mГЄme, tout en restant licencieux. Des numГ©ros Г©patants sont restituГ©s, par bribes. Mais le coeur du film se situe moins sur scГЁne que dans les coulisses, dans cette vie extravagante de la troupe. Un monde en soi, un cocon tendre. Frisson d'ГЄtre ensemble, de participer Г une aventure un peu irrГ©elle.

TournГ©e ravive la fiГЁvre du music-hall, en captant des moments suspendus. Ceux qui donnent В« l'illusion de vivre trГЁs vite, d'avoir chaud, de travailler, de ne penser guГЁre В», comme le dГ©crit si bien Colette dans un texte dont Amalric dit s'ГЄtre inspirГ©. Un monde de chimГЁres exaltantes. Tourbillon, ivresse. Le film raconte Г peine une histoire, sinon celle d'un amour qui s'ignore et qui, peu Г peu, se rГ©vГЁle. Il suscite surtout du fantasme, avec frГ©nГ©sie. CinГ©ma de croquis, toujours dans l'excitation. Et l'amusement, y compris dans l'Г©rotisme. A l'image de Mimi Le Meaux qui entraГ®ne un jeune inconnu dans les toilettes pour une partie de jambes en l'air, hГ©las trop vite conclue. Pas du genre Г se dГ©monter, voici la Mimi qui oriente prestement son partenaire vers un cunnilingus de haute volГ©e.

Charnel, le film l'est jusqu'à la pointe grimée des seins. Dans cette ode à la femme jamais machiste, Joachim a beau faire le coq, il est tout petit à côté de ses pétroleuses de tous âges et de toutes mensurations. Comme Cassevetes dans Meurtre d'un book­maker chinois. Ce n'est pas l'unique référence, tant Tournée (titre derrière lequel on entend aussi « tournage ») ne cesse de déployer tout un imaginaire de cinéma, depuis le mythe du producteur consumant sa vie comme les billets, jusqu'aux créatures felliniennes, opulentes voire corpulentes. Cosmopolite, la fantasmagorie relie Holly­wood et l'Europe, mixe l'anglais, le français, l'italien. Semble faire des clins d'oeil à tout le monde - lorsque la folle équipe pépie dans le hall avant de prendre des taxis, on croit reconnaître du Godard.

On pense surtout Г Jacques Rozier. A sa libertГ© aГ©rienne, faussement improvisГ©e. Amalric excelle comme lui dans le free style, l'Г©chappГ©e soudaine, Г l'instar du dialogue savoureux avec la caissiГЁre (divine AurГ©lia Petit) d'une station-service. В« Vous faites quoi dans la vie. -On s'en fout. -Et lГ vous allez oГ№ ?-Je vais tuer quelqu'un. -Vous avez de la chance. Г‡a doit faire du bien. В» Le plaisir de Joachim n'est pourtant pas toujours le nГґtre. Il peut ГЄtre cruel, ce type, inconsГ©quent avec ses enfants et avec bien d'autres, comme on le voit dans un Г©pisode parisien, dur retour Г la rГ©alitГ©. C'est un charmeur qui agace parfois, mais qu'on a envie d'embrasser lorsqu'il rГ©clame auprГЁs des hГґteliers de couper l'infecte musique d'ascenseur qui dГ©gouline dans leur Г©tablissement.

Un autoportrait d'Amalric. PlutГґt un portrait du joueur en chacun de nous, de l'ado attardГ© se rГЄvant couvert de femmes, tantГґt morveux, tantГґt miteux. Autant dire que le goГ»t du travestissement et de la mise en scГЁne de soi, Г©rigГ© ici en philosophie de la vie, ne va pas sans risque, ni sacrifice. La gГ©nГ©rositГ© brГ»le ici tout sur son passage. Mais lorsque Zand fait pГ©ter une nouvelle fois la sono rien que pour nous, la fin du monde peut arriver, il sait qu'il sera entourГ©.

Critique du 17/05/2014

Par Jacques Morice

| Genre. effeuilleuses Г©bouriffantes. Des Etats-Unis, Joachim Zand a ramenГ© la poule aux oeufs… (Lire la suite)